dimanche 10 décembre 2017

L'ethno-différentialisme, ou le néo-racisme comme nouvelle mouvance portée par l'extrême-droite : le cas de La Meute

« Là où l'Islam passe, la civilisation trépasse ». Cet adage qui coiffe en guise de page couverture le compte facebook de Stephane Rock, un parmi les plus actifs des membres de La Meute sur le Web, a de quoi donner des frissons à tout québécois de confession musulmane. Il a cette étrange singularité d'être à la fois la caricature de ce que les porte-paroles du groupe ne cessent de réfuter ("on est pas islamophobe"), et l'indication parfaite de ce qui gît en trame de fond sous l'action et le discours publics de celui que les médias traditionnels ont cessé depuis peu de désigner comme un groupe d'extrême-droite.


Qu'on lui évite à présent cet attribut est symptomatique de la perte de repères qui affecte le discours médiatique dans sa recherche de la rectitude intellectuelle, pour ne pas dire politique. Car enfin, il faut bien appeler un chat un chat, et la définition de l'extrême-droite s'applique bel et bien à tout discours qui se situe délibérément en marge de la droite officielle (celle qui siège à droite du souverain en régime de monarchie constitutionnelle), pour promouvoir les idées les plus exacerbées du conservatisme et du maintient de l'ordre établi, même et surtout en critiquant cet ordre (c'est là le sens du populisme). La Meute ne fait pas autre chose, et son apparent pacifisme, couplé à son soutient déclaré aux forces répressives («Nous appuyons la Sûreté du Québec»), ne fait que confirmer son parti pris extrême pour la droiture du système.

Je ne m'occuperai pas des palabres internes du groupe Facebook dit "privé" de La Meute. Sur ce plan, fort intéressant d'ailleurs, Xavier Camus a su tirer profit des "taupes" qui ont infiltré le site et nous servir un savoureux portrait de son racisme ordinaire. Je parlerai plutôt d'un racisme plus subtil : le néo-racisme ou ethno-différentialisme. Il est à l'oeuvre dans toute prise de position et toute action publiques du groupe, notamment et surtout à travers les interventions de son héraut officiel, Sylvain Brouillette, auto-dénommé "Maikan" (loup, en langue Innu).

L'ethno-différentialisme est un courant issu de la Nouvelle Droiteprônant la reconnaissance d'un héritage culturel qui serait propre à une nation ou une ethnie et qui mériterait d'être préservé par les institutions politiques. Sans biais hiérarchique a priori, cette vision du monde tend à maintenir la ségrégation sur les bases de la différence des provenances historiques et géographiques et à refuser toute forme de mélange.

On y reconnaît déjà l'idée du maintient de la culture québécoise (ou plutôt : franco-canadienne), qui nous serait propre, défendue et claironnée par La Meute, ainsi que le motif de l'acceptation d'une immigration qui serait conditionnelle à la préservation de cette différence, laquelle nous définirait comme peuple ("Nous sommes le peuple, nous sommes La Meute"). C'est pourquoi on peut affirmer que l'ethno-différentialisme est un néo-racisme, ou racisme culturel.

Dans une publication récente, Sylvain Brouillette s'appuie sur un texte de Boucar Diouf pour réaffirmer une thèse récurrente dans le discours de l'extrême-droite identitaire : il faut choisir les immigrants qui sont les plus compatibles avec nos valeurs : "Conclusion, choisissons plus d'immigrants francophones qui viennent d'une culture compatible avec la nôtre, etc". Évidemment, le texte de Diouf parle plutôt d'autre chose, et, comme il nous y a habitué, le propos y est plus nuancée.

Le maintient dans la marge des différences internes à un corps social fait aussi parti de ce discours qui, d'un ton péremptoire, ramène à l'ordre quiconque fait preuve de déviance. Ainsi en est-il de cette publication qui, s'appuyant sur un article de Denise Bombardier dénonçant la nomination d'une transgenre à la tête de la Fédération des Femmes du Québec, nous rappelle que les marginaux ne doivent rien imposer à la majorité : "Les droits fondamentaux doivent s'appliquer dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. Cela implique que les marginaux n'ont pas tous les droits." L'article de Bombardier fut relayé par Richard Martineau dans une charge contre tout ce qui, se situant dans la marge, tente de faire oeuvre d'intégration. Le discours de La Meute semble bien appuyé par une frange médiatique non négligeable.

Les exemples de l'adhésion de La Meute à cette mouvance ne manquent pas. J'en indiquerai un dernier.

Le site Web de La Meute ne laisse aucune place à la nuance. La préoccupation du maintient de la pureté culturelle y est appuyée par le brandissement de la menace que représente l'Islam. Le "pamphlet" mis en ligne est très clair : "Leur intention (NDLR : celle des musulmans, des arabes ou des islamistes ?) est de mettre en place un système misogyne, homophobe, pédophile, barbare et archaïque, sous  la tutelle d’un tribunal coranique. Sachez que, si nous les laissons faire, nos valeurs, nos lois, nos règles, nos droits, notre culture,  notre liberté, notre démocratie ainsi que notre sécurité sont en péril"

Je conclurai de manière provisoire sur un bref rappel : les actions des derniers mois de La Meute ont toujours eu comme motif plus ou moins explicite l'expression du refus des particularismes et des singularités menaçant l'ordre général : la motion 103 du gouvernement Trudeau, l'arrivée des demandeurs d'asile (les "immigrants illégaux") et une commission sur le racisme systémique qui, finalement, n'a pas eu lieu...

La Meute se défend d'être xénophobe, islamophobe et raciste. Mais saurait-elle répondre à l'accusation d'être une organisation néo-raciste, alors même qu'elle cherche à normaliser son discours? 

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